Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 27 Août 2025
Auteur vétéran à la carrière importante, réputé pour ses oeuvres engagées et humanistes qui abordent souvent des thèmes sociaux et historiques avec sensibilité, et que l'on connaît déjà en France pour les excellentes séries L'Orchestre des Doigts (éditions Milan) et The Red Rat in Hollywood (éditions Vega), Osamu Yamamoto s'offre enfin, en ce mois d'août, une nouvelle parution française: c'est Le Lézard Noir qui, à son tour, s'intéresse à lui, à travers la publication de Quand je ne serai plus là. De son nom original "Momo no Koto - Aiken to Rôjin no Saigo no Hibi" (que l'on pourrait traduire à peu près par "A-propos de Momo - Les derniers jours d'un vieil homme et de son chien bien-aimé" ), cette histoire en huit chapitres (pour un total de quasiment 200 pages), fut initialement prépublié au Japon en 2022-2023 dans le magazine Big Comic Original des éditions Shogakukan, et est donc de l'un des titres les plus récents de ce mangaka dont la carrière dure depuis le tout début des années 1980.
Cette histoire nous immisce auprès d'un vieil homme comme il y en a tant: Yûzô Karita, 81 ans, veuf et sans enfants, vit modestement sur la maigre pension qu'il touche depuis le décès de son épouse Yasuko. Dans ce quotidien très simple, il ne se plaint pas même quand il peine à joindre les deux bouts, et il peut toujours compter sur la présent de sa petite chienne de 12 ans Momo, un jack russel qui est la lumière de sa vie, rompant avec douceur sa solitude. Aujourd'hui, Karita n'aspire qu'à accompagner avec affection les dernières années de sa petite chienne qui commence à se faire âgée elle aussi, mais le destin va en décider autrement: quand un jour il se rend chez le médecin pour ce qu'il pense être une simple toux, on lui détecte un cancer du poumon déjà bien avancé, si bien qu'il lui reste au maximum un an à vivre. Pour lui, il est inenvisageable de quitter sa maison pour aller à l'hôpital ou ailleurs, quitte à devoir renoncer à certains soins, car il n'a aucunement les finances pour envisager des soins et autres aides à domicile. Et s'il balaie ces possibilités, c'est bien parce qu'il ne pense plus qu'à une chose: le bonheur de Momo. Que se passera-t-il après sa mort pour la petite chienne ? S'il meurt seul chez lui, sera-t-elle toujours en vie le temps qu'on découvre son cadavre ? Et surtout, qui pourra s'occuper d'elle ? Ne risque-t-elle pas d'être envoyée à la fourrière pour être euthanasiée, ou d'errer seule dans les rues jusqu'à ce que le pire (accident, maladie...) lui arrive ? C'est avec toutes ces idées en tête que le vieil homme se lance dans une quête désespérée pour trouver un nouveau foyer à sa boule de poils bien-aimée...
Récit poignant narrant l'ultime combat d'un modeste homme pour assurer le bien-être de son précieux animal une fois qu'il ne sera plus là, cet ouvrage brille en premier lieu, bien sûr, pour la forte mise en valeur de tout ce que peut nous apporter un animal de compagnie dans la vie. En cela, Karita touche par son unique souhait, à lui l'homme pauvre et vieillissant, de préserver le bonheur de Momo, alors même qu'il aurait pu avant tout se lamenter sur son sort. Et pour bien capter l'état d'esprit du vieil homme, il convient, comme nous le propose l'auteur dans la première partie de son oeuvre, de comprendre en profondeur tout ce que la petite chienne a pu leur apporter à lui et à sa défunte épouse: le contexte dans lequel la petite chienne a été recueillie alors que le couple était au plus mal pour des raisons que l'on vous laisse découvrir, puis la lumière qu'elle a mis dans leur quotidien qui était devenu triste, sont alors soigneusement exposés. Quant à la suite du volume, elle voit Karita intensifier ses recherches pour trouver un lieu où Momo sera bien, le tout avec ses très modestes moyens, jusqu'à un final très poignant et humain. A vrai dire, Osamu Yamamoto sait tellement bien mettre en lumière son personnage central, est si doué pour faire ressortir avec humanité ce genre de petites gens, qu'on préfère en oublier les quelques grosses ficelles (l'identité de l'infirmière Takahashi puis de Horiuchi) pour plutôt les voir comme des coups de pouce du destin pour ce brave homme qui l'a bien mérité.
Mais derrière ce récit simple, humain et touchant autour de toute l'affection que peuvent se porter humain et animal, Osamu Yamamoto, comme très souvent dans des mangas, prend également soin de distiller tout un petit portrait de société, passant ici par pas mal de choses: les petites injustices silencieuses (comme le fait de majorer le loyer d'un vieil homme déjà pauvre juste car il a un chien, alors que ce chien est son unique compagnie), les arnaques de personnes sans scrupules, la difficulté d'accéder à certains soins si l'on n'a pas l'argent, le dédain des riches qui jugent bien vite le pauvre homme en le voyant traîner dans leur quartier, les limites de la vieillesse dans nos sociétés où l'on a vite fait de se retrouver isolé, la triste condition des animaux de compagnie abandonnés et condamnés à être euthanasiés à cause des caprices et de l'égoïsme des humains simplement par ce que ça les arrange... On a alors un manga social qui sait être fort sans avoir besoin de s'éterniser sur son propos, et qui fait ressortir de plus belle les valeurs humaines d'un Karita qui, malgré ce qu'il a pu vivre au fil de sa vie, ne s'est jamais égoïstement plaint.
Il est alors difficile de ressortir indifférent de cette lecture poignante, qui est autant un portrait social parfois accablant qu'un touchant récit humain autour de ce qui peut lier un homme à son animal de compagnie. Une jolie réussite de plus dans la carrière de cet auteur, d'autant plus que le tout est servi dans une édition très honorable si l'on excepte un nombre un peu trop élevé de coquilles dans les textes. Derrière le grand format et la sobre couverture qui reste très proche de l'originale japonaise, on trouve effectivement une traduction où Laurent Lemercier fait bien ressortir l'aspect humain de cette histoire, un lettrage propre, et une qualité d'impression convaincante sur un papier à la fois souple, bien opaque et assez épais.